La place du virtuel

De nos jours, le virtuel prend une place de plus en plus prépondérante dans nos vies, décliné sous différentes facettes (télévision, jeux vidéo, réseaux sociaux, visioconférence, …). Que ce soit chez les petits ou les plus grands, ce monde virtuel fait désormais partie intégrante du quotidien. Il vient aussi parfois rappeler les différences de générations dans la manière de l’appréhender… On peut entendre parler notamment des vétérans, des « babyboomers », de générations X, Y ou Z.

Souvent diabolisé mais pourtant toujours recherché, que vient-il activer chez chacun de nous, et qu’en est-il au niveau du vécu émotionnel ? De plus, la crise sanitaire actuelle vient peut-être encore davantage nous plonger dans cet univers virtuel, tant les contacts directs se veulent limités. Qu’est-ce que cela a comme impact ?

La notion du virtuel est tellement large que notre article ne viendra qu’effleurer la thématique et les observations qui en découlent. 

Tel un peintre muni de sa palette de couleurs, les thérapeutes du 213 disposent d’une large variété d’outils et de sensibilités dans les prises en charge qu’ils proposent. Donner une place au virtuel peut venir élargir ce champ des possibles.


Virtuel et adolescence

L’adolescence est une période du cycle de vie qui vient remuer énormément et qui amène beaucoup de changements, notamment en terme identitaire (crise identitaire). Un adolescent a souvent besoin de se créer son propre monde pour s’éloigner de celui de ses parents ou de ses proches et pour ainsi, doucement se construire et s’autonomiser tout en se sentant suffisamment affilié à des groupes de pairs (groupes d’appartenance). On entend régulièrement que les ados sont « accros » aux écrans. Mais qu’en est-il de leur rapport à ces écrans ? Que leur apportent-ils ? Quelles sont les limites à définir ? Autant de questions qui taraudent souvent les parents et autres figures d’autorité.

Les réseaux sociaux ?

Le virtuel peut être vu comme une aire de construction / destruction : en effet, à travers ce que l’adolescent poste sur les différents réseaux sociaux, on observe généralement une construction du soi et des représentations sur l’autre et sur nous-même, tant il y a une forte présence du regard de l’autre (selfie avec l’image du corps, comment on peut « se raconter », photos postées et laissant apparaître une partie de leurs vies et de leurs relations, …). Cette construction subjective vient alors alimenter et permettre d’asseoir une des parts de soi, une des composantes de leur identité.  A l’inverse, cette aire peut parfois se décliner sur le versant destructeur (harcèlement virtuel, manipulation, distorsion des images du corps, « revenge porn », …). La nécessité d’une certaine bienveillance de la communauté est présente. L’adolescent est invité à pouvoir se frayer son propre chemin et éviter les obstacles en balisant et sécurisant son utilisation des réseaux sociaux. Ce chemin doit parfois se créer avec l’appui préalable de figures adultes responsables et contenantes.

Les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, Snapchat,… sont aussi des espaces d’intimité car le regard des adultes est moins présent tant les espaces et les frontières virtuels se dessinent via la gestion personnelle des paramètres de leurs différents comptes et profils. Cette mise à distance du regard de l’adulte, et des parents plus particulièrement, participe alors au processus de séparation et d’individuation, voire d’autonomisation, qui caractérise les mouvements adolescentaires. De plus, ces espaces d’intimité virtuels viennent aussi apprendre aux ados à mettre leurs limites (contenu, gestion des paramètres de sécurité, protection des données personnelles, …) et à protéger cette bulle d’intimité, parfois si précieuse, mais nécessitant des bases solides et un sentiment de sécurité. La distinction entre public et espace d’intimité s’acquiert durant l’enfance. C’est pourquoi il est parfois porteur de venir discuter avec l’adolescent du concept de droit à l’image et du droit à l’intimité.

Les réseaux sociaux invitent également à une nouvelle modalité d’être en relation. L’écran connecté est alors parfois vécu comme un prolongement de soi ou de la relation à l’autre. On parle de la création d’un lieu de socialisation. L’ado peut continuer à parler avec ses amis tout en étant à la maison, peut encore créer et entretenir des liens avec des personnes ou de la famille qu’il voit irrégulièrement, mais peut aussi parfois expérimenter la relation à l’autre dans un jeu de séduction. Cet espace de sociabilisation est une richesse mais ne doit en rien remplacer complètement les rencontres et relations en dehors de l’écran ! La question de l’équilibre et de la juste balance reste alors à trouver et parfois, à co-construire. Il est primordial que l’ado puisse continuer à éprouver et à tester ses relations en dehors de l’écran.

L’apport d’un sentiment d’appartenance à un groupe social. Cette dimension est clairement nourrie par les réseaux sociaux tant la question des groupes et des communautés est présente. Un jeune peut à la fois se sentir appartenir à des groupes virtuels mais aussi, de par son utilisation des réseaux sociaux, se sentir lié à un groupe de pairs dans le réel, en pouvant notamment discuter avec un ami du dernier tweet ou snap d’un autre camarade de classe. Ce besoin d’appartenance est d’autant plus important à l’adolescence car ce dernier connaît souvent un moment d’instabilité au niveau identitaire mais aussi un besoin de se construire à travers l’autre et au travers de ses pairs.

La dimension créative joue également un rôle important. De par les diverses utilisations possibles du virtuel et des réseaux sociaux, le jeune peut développer un potentiel créatif et ainsi asseoir une part de son identité en construction. De plus, certains ados en profitent pour se raconter et mettre en récit leurs vies, leurs vécus et leurs émotions.

Les jeux vidéos ?

Les jeux vidéo sont nombreux, variés et parfois très différents dans les mouvements qu’ils mettent en scène. Néanmoins, la plupart permettent de donner une position active au jeune ; il redevient acteur.  Le joueur possède une intentionnalité (adresse quelque chose à l’autre, même si cet autre est virtuel), ce qui permet à l’ado d’être dans un mouvement de vie.

Les jeux vidéo donnent aussi accès à une certaine élaboration psychique de ce qu’on y fait, ce qu’on y vit, quelle place on y occupe. Si, dans un jeu vidéo de style stratégie ou aventure, un jeune prend souvent la place ou le rôle d’une personne créant des bâtiments plutôt que le rôle d’un guerrier, cela vient peut-être dire quelque chose de ses représentations et croyances ; ceci peut être en lien avec les croyances et les valeurs familiales.

Les jeux vidéo de réseau permettent aussi de créer du lien ou de consolider des rencontres via un partage d’expériences, via l’intégration à une communauté de joueurs, … En outre, les jeux en réseau développent l’aptitude à travailler en équipe et la curiosité vis-à-vis des autres, en matière de compétence et de savoir. Des valeurs comme l’altruisme ou la réciprocité sociale sont alors mises au travail. Concernant ces valeurs morales, plusieurs études ont montré que les jeux qui valorisent l’entraide et la coopération ont l’effet, dans certaines conditions, d’augmenter ces comportements dans la réalité. Certains jeux vidéo comme le role playing peuvent même influencer des capacités à réparer.

L’espace virtuel peut aussi être un espace de décharge pulsionnelle ; ceci implique de rester attentif à la fonction que l’on recherche dans les jeux vidéo.

Les jeux vidéo d’action ont un effet positif sur les capacités attentionnelles, sur le contrôle attentionnel et sur la flexibilité cognitive. Des effets positifs sur la cognition spatiale (capacité à réaliser mentalement des rotations d’objet) se dessinent également. Notons aussi que ces acquisitions peuvent se transférer à d’autres domaines de vie (Altrarelli & Bavelier, 2018).

Enfin, concernant les usages problématiques des jeux vidéo, on se rend compte qu’ils sont souvent révélateur de problématiques sous-jacentes plutôt que d’une réelle problématique de dépendance : dépression, déficit de l’estime de soi, anxiété sociale mais aussi violence scolaire, divorce, deuil, … Le jeu peut alors devenir une activité refuge pour mettre à distance la souffrance du monde extérieur.

Le virtuel et les familles

On peut s’interroger sur comment le virtuel vient-il se décliner au niveau des relations familiales entre parents et enfants, au sein de la fratrie ou de manière plus large au niveau des liens familiaux ? Comment peut-il être discuté et appréhendé sans sentiment d’intrusion ou sentiment d’hyper-contrôle ? Autant de questions auxquelles une multitude de réponses sont possibles en fonction de chaque jeune et de chaque famille.

Néanmoins, quelques balises permettent parfois d’éviter certains écueils du virtuel et des écrans comme : renforcer la pensée critique des enfants et adolescents, les inviter à toujours croiser leurs sources et à aller consulter des sites variés, en débattre avec eux, confronter les points de vue et les utilisations en fonction des réalités de chacun, … En fonction de l’âge de l’enfant ou de l’adolescent, il semble intéressant de pouvoir l’aider à s’outiller de plus en plus pour pouvoir faire face aux différents contenus qu’il perçoit sur les écrans. Disposer de repères peut aider parents et professionnels à adapter et réguler la consommation des écrans selon l’âge du jeune.

Le virtuel dans l’espace thérapeutique

Le virtuel peut tout à fait prendre une place dans l’espace thérapeutique tant il permet de venir rencontrer l’autre, et l’adolescent peut-être plus particulièrement.  Le virtuel semble venir dire quelque chose de notre réalité psychique. Parler du jeu, de son contexte, ou encore pouvoir débriefer de ce qui a été vécu tant au niveau émotionnel (mettre en sens le vécu émotionnel) que symbolique. Tout ceci en restant attentif à bien pouvoir faire coexister la réalité virtuelle et la réalité du monde réel.

Au 213 Centre thérapeutique enfant, adolescent, famille, nous sommes sensibles au concept de créativité qui s’invite dans les différentes prises en charge. Cette créativité peut être amenée par le virtuel, par la place qu’on lui fait ou qu’on lui donne et enfin, par la manière dont on peut l’utiliser pour apprendre à mieux connaître l’autre, l’adolescent, l’enfant ou encore sa famille.


Mélissa Lambion
Mélissa Lambion

Psychologue clinicienne et psychothérapeute d’orientation systémique et familiale