La place des émotions en médiation familiale

La médiation est un mode alternatif de résolutions des conflits. Autour de la famille, la médiation a pour objectif d’offrir un temps d’arrêt à partir de ce qui pose problème ou d’anticiper ce qui pourrait le devenir. On parle de médiation familiale dans le cadre d’une séparation, de décisions familiales importantes à prendre, d’héritage à gérer. C’est avant tout un échange humain en présence d’un tiers qui va accompagner la communication. 

La médiation familiale est un espace de parole où chacune des parties (couple, famille, parents) doit pouvoir s’exprimer, dire ce qui fait blocage, engager la discussion et nommer son ressenti en toute liberté. 

Qu’est-ce qu’un médiateur familial ?

Le médiateur est régulièrement défini comme un facilitateur de communication, un accompagnateur. Il « est ce tiers qui accueille, écoute, rejoint l’autre avec empathie, tout en gardant une “juste distance” de professionnel ». Il est perçu comme un récepteur de confidences, d’histoires personnelles mais aussi d’émotions. En amenant les familles à parler d’elles, le médiateur leur demande de raconter leur histoire de vie. Reprendre les bons comme les moments les plus difficiles est un processus qui permet de cheminer vers la séparation, vers le deuil de la relation. Évoquer ensemble ce qui a pu amener au conflit permet de mettre des mots sur ce qui est vécu par l’autre. 

Le médiateur est ce professionnel qui, à un moment dans la crise, va amener les parties vers un changement, selon leur volonté et leur rythme. Il va profiter de ce bouleversement, partir de leurs besoins et avancer vers des pistes de solutions. Il devra faire face à des sentiments ambivalents dus à la séparation et à des tensions très fortes. En effectuant un travail de reconnaissance autour de la souffrance de chacun, il offre la possibilité et la place aux émotions de s’exprimer.  

Pourquoi parler d’émotions en médiation ?

« […] L’espace de médiation est un lieu où les émotions sont omniprésentes. Le rôle du médiateur est de mesurer la capacité de chacun à y être confronté et à pouvoir les verbaliser, notamment dans le contexte particulier que représente la mise en présence avec l’autre partie »[1]. Il y des situations où le partage d’émotion avec un tiers va être positif dans le processus de séparation. D’autres où il est impossible de le faire car les parties sont trop enlisées dans le conflit. Le médiateur doit pouvoir vérifier la disponibilité de chacun à recevoir et entendre les émotions de l’autre. Il est garant d’un cadre sécurisant pour chacun et ne doit en aucun cas imposer à l’un les émotions de l’autre. En offrant cette espace de parole autour des émotions, le médiateur vérifie que chacun a pu s’exprimer librement et à sa bonne convenance.

On pourrait définir le médiateur comme un porteur d’émotions. Comme un mineur[2] qui explore et creuse les histoires de vie, qui offre aux parties la possibilité de les éclairer et d’en saisir les opportunités. Il doit être attentif au moment où il est utile d’épingler ces émotions et de permettre aux familles de les déployer. Les émotions doivent apporter un sens à la médiation et venir alimenter le processus. Le médiateur doit en prendre acte avec l’idée qu’elles vont venir aider la démarche. Le processus de médiation va alors permettre aux médiés d’en faire quelque chose pour continuer leur cheminement dans leur processus de deuil ou vers l’acceptation de la séparation. 

Les émotions se jouent dans la relation à l’autre ou à soi-même. Une émotion se vit au niveau individuel, c’est de l’ordre de l’intime, de l’hyper-personnel. On ressent rarement la même émotion que l’autre en même temps et avec la même intensité. Imaginez quand on se sépare ou quand on est en conflit dans une famille, les émotions se confrontent et s’amplifient. La séparation  vient toucher à quelque chose d’existentiel, de vital et de quotidien. Bien sûr elle vient augmenter l’intensité de tous les ressentis. On parle, dans ce cas-ci, des émotions présentes autour du motif de la rupture, pendant la rupture et lors du prononcé de la rupture mais aussi à cause de la conflictualité après la rupture. 

Quels types d’émotions en médiation ?

Dans le processus de rupture, il y a souvent une asynchronie[3] : l’un avance plus rapidement que l’autre. Il est rare que les membres d’un couple prennent la décision de se séparer en même temps avec la même conviction. Cette différence de rythme joue sur l’intensité des émotions et renforce les sentiments de solitude et d’individualité. « Je vis quelque chose tout seul concernant quelque chose qui nous appartient à deux : notre couple ». Les émotions qui sont liées à la séparation sont nombreuses : l’ennui, la confusion, la colère, la peur, l’anxiété, le regret, la tristesse, le désespoir, la frustration, la culpabilité, l’insuffisance, l’indécision ou la désorganisation. On peut aussi parler de sentiment, de stress, d’impatience, d’incompréhension, d’exaltation, de trahison, de perte ou de détachement.

L’émotion qui prédomine le plus souvent est la peur face au changement, à l’inconnu. Tous les médiés peuvent donner à un moment ou à un autre accès à leurs peurs durant le processus de médiation, qu’elles soient rationnelles ou irrationnelles, individuelles ou familiales. « La peur est une émotion liée au futur »[4], qui agit sur notre confiance et notre estime de soi. Elle crée de l’appréhension face à la nouveauté et l’inconnu. La peur peut être vécue par les deux : celui qui quitte et celui qui est quitté. On parle de peur du lendemain, des conséquences et des responsabilités à prendre. Mais aussi peur de l’autre, d’être lâché, de la solitude ou de la vengeance. Elle se manifeste généralement par de la panique, de l’anxiété, de l’angoisse et un sentiment d’insécurité.  

Les émotions sont des étiquettes qu’on colle facilement sur tel ou tel type de personnalité. Le médiateur, dans son travail d’accompagnement autour du conflit, se doit d’être ouvert et tolérant à tout type d’émotions. Les émotions peuvent varier selon le motif du conflit, les personnalités des médiés mais également selon les genres. Elles sont habituellement attribuées selon un code social défini depuis des années et difficile à bousculer. Par exemple, « génétiquement ou pas, la joie et la colère sont des monopoles masculins interdits aux femmes, et la tristesse et la peur des monopoles féminins inaccessibles aux hommes »[5]. Cette répartition « archaïque » des émotions incite encore aujourd’hui certaines personnes à ne pas exprimer leurs émotions car elles pensent ne pas leur appartenir, ne pas être légitime de les ressentir. En médiation, on doit pouvoir faire de la place à toutes les émotions, diverses et variées, tant qu’elles sont énoncées et travaillées dans le respect de l’autre.  

Comment les émotions s’expriment-elles en médiation ?

L’expression des émotions face à l’autre doit résulter d’un besoin, d’une demande, d’un enjeu. C’est au médiateur de le percevoir en récoltant des informations sur les attentes des parties au fil des discussions. Les entretiens sont en effet une occasion pour les médiés de dire des choses qu’ils ne se sont jamais dites et d’avoir accès à ce que l’autre vit. « Le médiateur réalise que la racine de presque tous les conflits est un blocage émotionnel qui empêche de voir le conflit de façon objective »[6]. L’intérêt pour le médié est de pouvoir comprendre comment l’autre a vécu la séparation, comment les choses se sont passées pour lui. Cela permet aussi de parler des moments positifs qui ont existé dans la relation et de ne pas rester bloqués sur les difficultés actuelles. Conscient de ce qui se joue au gré de leurs interactions, le couple va ainsi clôturer son histoire en écrivant la dernière page du livre ensemble et en se séparant proprement[7]. La bienveillance et la réciprocité sont de mise pendant tout le processus. Quand le travail collectif sur les émotions est possible, ouvrir la discussion au vécu et à l’intime peut faire avancer les choses et lancer le processus de deuil. Même si dans certaines situations l’expression des émotions ne va pas apaiser les deux membres du couple dans l’acceptation de la séparation, le fait que l’un des deux en tire des bénéfices pendant que l’autre reste dans une position plus passive est déjà positif. 

L’expression des émotions peut avoir lieu à différents moments dans le processus de médiation. Les émotions peuvent être présentes lors des échanges verbaux, dans le non-verbal ou dans le silence. Elles sont inévitables dans le conflit mais peuvent toutefois évoluer durant le processus de médiation. On peut démarrer avec des émotions à connotation négative (tristesse, colère, peur) et en fin de médiation repartir avec des émotions plutôt positives telles que la joie, le soulagement ou la confiance restaurée. 

Quelle place aux émotions en médiation au 213 Centre thérapeutique ?

Pour conclure, la gestion des émotions en médiation est plurielle. Le médiateur doit faire preuve de souplesse en toute situation. Son cadre ne peut être rigide et sa façon d’aborder les émotions doit pouvoir s’adapter à la demande des parties. Il y a des médiations où les émotions peuvent rester en retrait et être accueillies subtilement par le médiateur. D’autres, où on ne peut pas faire l’impasse car les enjeux autour du conflit sont emprunts d’émotions. 

Tel un caméléon, il doit pouvoir s’adapter à chaque situation : être celui qui induit l’émotion, qui l’encourage à s’exprimer, qui la provoque avec respect et délicatesse, qui fait émerger des émotions enfouies. Le médiateur effectue un travail d’équilibriste car il doit trouver le juste milieu entre ce que les médiés lui livrent spontanément et ce qu’il peut encourager à révéler. 

Il faut un juste dosage entre le travail des émotions perçues, le projet autour de celles que l’on souhaite percer pour le processus de médiation à des fins utiles et le respect de celles qui resteront enfuies à la demande des parties. 

Au 213 Centre thérapeutique, la médiatrice familiale peut vous accompagner autour d’une séparation, d’une rupture de contact, d’un conflit majeur ou d’un questionnement dans sa coparentalité.  La pluridisciplinarité de l’équipe du centre permet également d’offrir aux enfants un espace de paroles où se déposer quand la séparation de leurs parents fait souffrance ou quand un temps d’arrêt s’impose autour de ce changement. 


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Fanny Hoornaert

Médiatrice familiale


[1] GRECHEZ Jean, « Enjeux et limites de la médiation familiale », Dialogue, Recherche cliniques et sociologiques sur le couple et la famille, 2005, p 41

[2] PHILIPPART Nathalie, « Les émotions en médiation, entre souffles créatifs et élan audacieux », L’observatoire, Créateur d’échanges et de transversalité dans le Social, a.s.b.l. Trimestriel. N°102/2020 « Les émotions dans le travail social, frein ou tremplin ? », p 49-53

[3] VAN HEMELRIJCK Jean, « la malséparation – Pourquoi on n’est pas séparé alors qu’on n’est plus ensemble», Payotpsy, 2016

[4] PETITCOLLIN Christel, « Émotions, mode d’emploi », Éditions Jouvence, 2020, p 89

[5]  PETITCOLLIN Christel, « Émotions, mode d’emploi », Éditions Jouvence, 2020, p 25

[7] VAN HEMELRIJCK Jean, « la malséparation – Pourquoi on n’est pas séparé alors qu’on n’est plus ensemble», Payotpsy, 2016