L’automutilation à l’adolescence est un sujet de plus en plus abordé au travers de la littérature et des médias. Ces conduites interpellent par l’ampleur qu’elles prennent actuellement dans cette population. L’évolution de la société a perturbé les repères au travers desquels les adolescents pouvaient se construire. Ils utilisent alors la peau comme moyen d’expression de leur identité. Les scarifications peuvent également symboliser une souffrance psychique intolérable au travers d’une douleur physique. Les remaniements physiques, psychologiques et sociaux auxquels les adolescents doivent faire face peuvent entrainer une grande détresse. Dans ce cas, les automutilations à l’adolescence peuvent signer un mal-être intense dont l’expression peut être très violente mais aussi surprenante par leur soudaine disparition à l’entrée dans l’âge adulte.
Ces conduites peuvent également être liées aux changements auxquels les adolescents ont dû faire face avec la (ré)activation de traumatismes individuels et/ou familiaux non-symbolisés. Le contexte familial particulier peut jouer un rôle où les adolescents ont adopté une fonction protectrice et porteuse d’une souffrance au sein du système. Ils protègent ainsi leur système familial et préservent une homéostasie ; ce qui semble avoir entrainé le recours aux automutilations car ils n’ont pas pu se vivre comme individu à part entière, indépendamment de cette fonction. Le recours aux automutilations leur ont permis de traverser l’adolescence sans trop d’encombre et d’affirmer leur identité ainsi que leur sentiment d’exister dans un contexte familial où ils n’ont pu se considérer comme individu à part entière.

Ces auto-agressions ne sont pas des tentatives de suicide mais peuvent, au contraire, permettre au jeune de trouver des repères. L’adolescence est une phase où le jeune est en pleine construction de soi avec une quête essentielle : celle des limites. L’autorité étant moins présente comme repère dans notre société, les jeunes tentent alors d’en trouver des nouveaux. Les adolescents d’aujourd’hui sont en perte de repères et de transmissions de valeurs entre les générations. Cela entrave leurs possibilités de se créer en tant qu’individu avec un système de valeurs propre et ancré qui permet aux jeunes de se sentir eux-mêmes. La peau n’a jamais été aussi investie qu’à notre époque. Celle-ci devient le premier moyen pour communiquer notre identité et notre personnalité. Les piercings, tatouages et autres marquages corporels viennent livrer des éléments de notre intimité. Les automutilations ne sont pas tant un phénomène récent, ce qui l’est c’est sa banalisation. Les représentations qui entourent les automutilations sont fortement médiatisées au travers de la télévision, des magazines et renvoient à des corps objets, mutilés où la souffrance devient esthétique.
Les fonctions des automutilations sont nombreuses. Les raisons et les origines de ces pratiques varient en fonction de l’histoire du sujet, de sa personnalité et de son développement. De plus, pour certains jeunes, se couper devient une solution à tout : chagrin, regret, déception, frustration, angoisse, etc. Néanmoins, il semblerait que les automutilations peuvent constituer un « bricolage thérapeutique », un moyen de faire face à cette souffrance et de s’adapter à leur vécu de mal-être. Les automutilations des adolescents en souffrance ne semblent obéir qu’à des lois privées qui n’ont de sens que pour ces jeunes. Elles peuvent être faites en privé à des endroits cachés du corps ou à l’inverse montrées dans une attitude de défi. C’est surtout la répétition de ces comportements qui crée le cérémoniel peu importe la fonction singulière. Les automutilations semblent donc avoir principalement comme fonction de légitimer l’existence, d’instaurer le sentiment d’exister et de donner sens et valeur à la vie lorsque la prédestination familiale et sociétale fait défaut et manque à son rôle.

Il semblerait que la principale raison est de pouvoir exprimer une souffrance psychique intolérable en la matérialisant par la douleur physique. Cela entraine du soulagement et une décharge des tensions internes. Ces scarifications sont également un moyen de tester leur « sentiment d’exister » et de disposer de leur droit à bénéficier d’un territoire intime en l’expérimentant par leurs coupures. C’est ce « sentiment d’exister » qui serait donc en péril et les automutilations permettent de le raviver. L’appartenance familiale est essentielle dans la quête identitaire du jeune. Si l’adolescent n’a pas pu posséder un sentiment d’exister assez fort, les automutilations peuvent être un moyen de se faire exister et de revendiquer une place familiale et sociale. C’est une affirmation du droit à disposer de soi-même et de son territoire intime.
Les jeunes adoptent également ces conduites dans une logique d’auto-engendrement où ils ont la possibilité de pouvoir se posséder entièrement en ne comptant que sur eux-mêmes. Ils mettent aussi en évidence le besoin de contrôle et de maitrise à travers leurs corps, la réappropriation de soi et de leur destin.
Le recours aux automutilations semble être ainsi une manière de traverser l’adolescence et la quête identitaire qu’il en résulte sans trop d’encombre. La capacité de s’en être sorti, seul, leur donne la confirmation qu’ils peuvent prendre leur autonomie et s’affirmer dans leurs choix.