Les psychologues et thérapeutes « petite enfance » du 213 Centre thérapeutique sont constamment attentives, dans leur travail clinique, à la problématique de l’imaginaire chez l’enfant en observant la qualité de son jeu, son intérêt ou non pour ses rêves, sa façon d’habiter son corps, sa manière d’exprimer ses émotions, etc. Nous constatons malheureusement, régulièrement, chez les petits patients que nous rencontrons dans nos consultations, une difficulté d’accès à l’imaginaire. Or, cette disposition, comme nous allons le voir, est essentielle à l’équilibre psychique et somatique de tout un chacun.
On pourrait définir l’imagination comme la faculté que possède l’esprit à se représenter des images. C’est par l’imagination que les mots deviennent pour nous des choses. L’imagination est la rencontre de deux facteurs : le monde extérieur où vivent les enfants et leur monde intérieur (c’est-à-dire leur manière de voir et d’interpréter ce qui les entoure). Mais comment cela se développe-t-il chez l’enfant ? Par quelles étapes passe-t-il ? En quoi l’accès à l’imaginaire est-il si important dans le développement de l’enfant ?
Les prémisses de l’imaginaire
Dans le ventre de sa mère, le bébé a déjà un fonctionnement onirique confirmant que la relation à l’imaginaire s’établit très tôt dans le fonctionnement de l’individu. Le bébé humain nait prématurément par rapport aux autres espèces animales et a dès lors, absolument besoin de la présence d’adultes comme auxiliaires de toute une série de fonctions. Cela est évident pour ses besoins corporels (alimentation, sécurité, hygiène, santé, etc.) mais il en va de même pour la pensée. Au début, le bébé a besoin d’un autre pour penser ses propres perceptions, d’un autre qui lui prête en quelque sorte son appareil à penser les pensées ». Tout seul, il serait à nu et directement confronté au monde environnant et, de ce point de vue, la capacité de pensée intervient alors comme moyen de filtrage ou de tamisage étant entendu que l’appareil psychique ne peut travailler que sur de petites quantités d’énergie.

L’imagination ne peut surgir que dans une frustration relative, lorsqu’il y a un décalage entre le besoin et la satisfaction. L’imaginaire va ainsi se développer chez le tout-petit au travers de ce qu’on appelle une « expérience hallucinatoire ». Elle correspond à une expérience corporelle apportant de la satisfaction au nouveau-né (ex : être nourri). Après avoir vécu une expérience de satisfaction, le bébé est capable de déclencher à nouveau, psychiquement la même expérience si celle-ci s’est accompagnée de plaisir pour lui. Très tôt, le tout-petit est ainsi capable de rendre présente une situation antérieurement vécue alors que dans le même moment celle-ci n’a plus lieu dans l’espace-temps-réel. Mais pour que cela puisse se faire, il est essentiel que la personne qui s’occupe du bébé (caregiver) ne soit pas omniprésente ou anticipe tous les désirs du bébé et puisse lui faire vivre cet espace-temps entre l’appel qu’il fera et la réponse qui lui sera donnée. Car, c’est bien dans cet entre-deux, dans cet espace-temps que le bébé va imaginer sa mère (ou le caregiver) alors que réellement, elle n’est pas là. Si les besoins du bébé étaient toujours satisfaits dans l’immédiat, il ne pourrait pas mettre en place des solutions imaginaires. Combler un enfant trop rapidement revient donc à la priver de l’espace nécessaire pour expérimenter son désir et pour développer ses capacités à créer des représentations. Attention, à l’extrême inverse, l’excès de frustration peut plonger le bébé dans le désespoir et avoir un impact sur sa santé.
Espace transitionnel et objet transitionnel
Le célèbre pédiatre et psychanalyste D. W. Winnicott appelle cet espace entre le caregiver et le bébé, « l’espace transitionnel » comme étant un espace imaginaire où l’enfant serait encore en réunion avec sa mère même si celle-ci est absente. Cette aire intermédiaire est un champ d’expérience entre la réalité intérieure et la réalité extérieure.

Lorsqu’un enfant n’a pas accès à cet espace transitionnel, il pourra présenter plus tard des difficultés pour développer son monde imaginaire (penser, parler, représenter). Beaucoup de retard de langage peuvent être expliqué par une pathologie de la transitionnalité ne permettant pas à l’enfant de trouver la juste distance par rapport à son caregiver et donc d’utiliser le langage dans sa double fonction : marquer et reconnaître la séparation tout en cherchant à la combler.
C’est dans un espace potentiel que l’objet transitionnel et les phénomènes transitionnels peuvent prendre corps ; cet espace potentiel varie largement d’un individu à un autre et repose sur la confiance qu’à le bébé de son caregiver, telle qu’il l’éprouve pendant une période suffisamment longue à un moment critique de la séparation. La notion de continuité est d’ailleurs inséparable des phénomènes transitionnels.
Chaque bébé trouve ensuite sa voie, qui est unique, afin de créer sa première possession (première création dont il a besoin). Cela peut-être un objet sucé, un doigt qui caresse la lèvre supérieure, un mouvement de bouche, etc.. Avec l’objet transitionnel (« le doudou ») le bébé reste en contact permanent avec sa mère (ou son caregiver). C’est un peu « comme si », elle était là. Cet objet transitionnel ou ce doudou ne doit pas forcément être un objet au sens matériel du terme. Cela peut tout aussi bien être un mot, un air de musique, une habitude qu’il prend, etc. Quoi qu’il en soit, cet objet transitionnel est l’un des ponts qui rend possible le contact entre la psyché individuelle et la réalité externe.
L’imagination chez l’enfant de 1 à 3 ans
L’imagination repose à cet âge en grande partie sur l’imitation. Les plus petits commencent par imiter ce qui se passe autour d’eux. C’est en imitant qu’ils apprennent et développent leur imagination. Le cerveau des bébés n’a pas de notion du réel et de l’imaginaire ; ils commencent à imiter ce ce qui les entoure sous forme d’expressions ou de sons dans un premier temps (ex : un chat qui miaule). Ces interactions entre l’environnement et leurs premières imitations établissent des connexions neuronales pour la vie. Écouter de la musiquer, raconter des histoires, parler à son enfant, jouer avec lui constituent autant d’actions qui favoriseront le développement de son monde imaginaire.
Pendant les deux premières années de sa vie, les jeux d’éveil vont permettre à l’enfant d’explorer son corps et son environnement proche grâce à son activité psychomotrice (Nous vous invitons à lire l’article « Quel jeu proposer à un tout-petit de moins d’un an ? Les jouets sont-ils indispensables ? » pour plus de détails à ce sujet).

Au début de la deuxième année, la fonction symbolique se manifeste par un comportement nouveau : l’imitation différée. L’enfant est spectateur d’une scène et en garde une image mentale ; en décalé dans le temps, il reproduira de mémoire une action qu’il a vu faire. C’est à force d’évoquer des situations ordinaires auxquelles il a participé ou assisté que l’enfant de deux ans commence à s’éloigner du modèle imité pour ajouter des éléments qui témoignent de plus en plus de sa vie affective (ses désirs, ses frustrations, ses fantasmes). Ainsi, entre 18 et 24 mois, les jeux d’imitation, où le rôle de l’imaginaire est important, se mettent en place. L’enfant invente un univers parallèle dans lequel il se montre tout-puissant. Rien ne peut l’arrêter, il développe non seulement une activité motrice mais aussi une capacité psychique intense. A travers cette activité ludique, il peut parfois prendre appui sur un élément de la réalité auquel il a dû se confronter et, pour mieux le maitriser, il va le reprendre à son propre compte dans son scenario imaginaire.
Ajoutons à cela que la construction de la réalité intérieure, à travers les images, se développe avec la maturité neuronale, organisation cognitive et affectivo-émotionnelle, ainsi qu’avec des conditions adaptées aux personnes et aux milieux. Par exemple, entre un an et un an et demi l’enfant est en mesure de se souvenir d’une image. Ses représentations mentales d’un objet vont ensuite s’affiner entre 18 et 24 mois lorsqu’il élaborera des capacités de connaissances spatio-temporelles.
L’imagination chez l’enfant d’âge préscolaire
En période d’âge préscolaire, l’enfant entre dans ce qu’on appelle la période de la « pensée magique » au niveau de son développement cognitif. La pensée magique se manifeste par le fait de prêter des sentiments et des intentions aux objets comme s’ils étaient des êtres vivant. L’égocentrisme (cette difficulté jusqu’à au moins 4 ans, à se décentrer pour adopter un point de vue autre que le sien), également présent à cette période du développement est une autre composante de la pensée qui influence le contenu imaginaire.
Vers 3 ans, l’enfant va développer une véritable passion pour les figurines, les animaux en plastique de la ferme ou du zoo ou encore les personnages de ses dessins animés favoris. Formidables supports de l’imagination, ces jouets simples permettent à l’enfant de développer son langage, de mettre en scène la vie de groupe et ils deviendront des vecteurs d’échange relationnel avec les autres enfants.

Comme ils ne comprennent pas tout à cet âge, l’imaginaire des enfants se charge parfois de leur donner des réponses à des questions ou à certains phénomènes. Mais, toute invention se base d’abord sur des représentations imagées d’objets ou d’événements vécus par l’enfant lui-même.
Les jeux de rôle que l’on observe très régulièrement chez les enfants de maternelle, permettent de comprendre et de se représenter les différents états mentaux, comme les intentions ou les croyances. L’imagination joue donc un rôle très important dans la sociabilisation des enfants et dans leur rapport à l’autre.
C’est également à cet âge que de nombreux enfants s’inventent un compagnon imaginaire avec lequel ils jouent pendant des semaines, voire des mois. Ce compagnon semble avoir une vie propre. Les enfants ressentent toute une gamme d’émotions envers de tels compagnons. Les enfants sont aussi capables d’inventer des créatures imaginaires plus maléfiques. Notons que des études ont confirmé que les enfants qui avaient des amis imaginaires reconnaissaient que leurs compagnons n’étaient pas réels et qu’ils ne pouvaient pas être vus par d’autres qu’eux-mêmes. Les jeunes enfants seraient ainsi tout à fait lucides dans leur évaluation du statut ontologique des entités imaginaires – même lorsqu’il s’agit d’entités qui sont émotionnellement « chargées » telles que sorcières, monstres et compagnons imaginaires.
L’imagination chez l’enfant d’âge primaire
A cet âge, les enfants tissent plus naturellement des liens avec les autres. Ils commencent à jouer en groupe, ce qui leur permet de mettre en commun leur imagination. Fini l’imitation, ils peuvent s’affranchir du réel pour créer avec plus d’audace. C’est à cette étape de leur développement que leur imagination est la plus abstraite. En effet, à partir de 6 ans, les compétences de l’enfant sont plus grandes et la capacité créative plus structurée et définie. Ils sont capable d’imaginer sans avoir à avoir un contact avec un jouet ou une référence pour inventer et imaginer.
Vers 6-7 ans, c’est la consolidation d’images anticipées qui permettent la reconstruction de processus dynamiques et la prévision de leurs conséquences sur les actions. Nous l’avons vu, l’imagination influence le langage et la communication. Cela a également un impact sur les compétences sociales. Interagir avec les autres les aide à créer des liens d’amitié et de développement social avec leurs pairs. L’imagination influence également la résolution de problèmes : elle permet aux enfants de générer des processus de résolution et de développer des compétences pour faire face aux situations stressantes, en acquérant des moyens pour résoudre les difficultés qui surviennent.

Conclusion
Un enfant a besoin d’espace pour se construire et il n’a nul besoin d’être sollicité, voir stimulé en permanence dans l’idée qu’il faudrait qu’il acquière un maximum d’aptitudes le plus jeune possible. Au contraire, un enfant a besoin de souffler, de ne rien faire et même parfois de s’ennuyer pour trouver son propre équilibre (Nous vous invitons à ce propos à lire l’article « Et si nous ajoutions l’ennui dans les valises des vacances ? »).
Ce n’est pas toujours simple à mettre en pratique dans une société qui demande très rapidement aux enfants dans leur développement de se conformer à une forme de pensée qui ne leur est pas naturelle et où la consommation croissante des écrans et des réseaux sociaux éloignent les enfants d’eux-même.
Nous l’avons pourtant vu, l’accès à l’imaginaire est essentielle au développement de l’enfant et aura un impact dans le développement de son langage, de sa pensée, de sa bonne santé psychique, de ses représentations, de ses apprentissages, de ses liens aux autres, de ses capacités de créativité et d’abstraction. Au sein du 213 Centre thérapeutique, nous proposons, lorsque cela est nécessaire, des thérapies permettant de relancer l’activité créative, imaginaire et ludique, permettant ainsi à l’enfant de retrouver un mieux-être global.