M A S Q U E

Cela fait maintenant plusieurs semaines que l’ensemble de la population arbore le masque dans les rues, les transports, les écoles, les commerces ou encore chez le médecin. Le port du masque, en tissu ou jetable est préconisé, voire obligatoire selon les lieux, dans le but de ralentir encore et toujours la propagation du Coronavirus. Mais quel impact le masque peut-il avoir sur les enfants et les adolescents ? Est-il risqué pour leur développement ? 

Reconnaissance

Le cerveau humain est câblé pour reconnaitre les visages. Nous possédons tous une zone cérébrale spécialement dédiée à la reconnaissance des visages : « Le gyrus fusiforme ». Sans effort, le gyrus fusiforme est capable de distinguer des millions de visages les uns des autres. 

Les enfants naissent avec un gyrus fusiforme déjà partiellement actif, ce qui rend le tout petit sensible de façon innée aux visages humains. Mais, le perfectionnement de ce système dépend de l’expérience et des situations rencontrées. La vue des visages humains est ainsi indispensable pour que le gyrus fusiforme atteigne sa maturité et ses performances optimales après l’adolescence. 

A priori, malgré la situation sanitaire actuelle, les experts et chercheurs rapportent que les enfants seraient encore suffisamment exposés aux visages dans leur cadre familial pour que ce système se mette en place. Toutefois, les potentialités du gyrus fusiforme seraient forcément sous-exploitées et d’autant plus si le port du masque perdure dans le temps. 

Heureusement, nous distinguons aussi les personnes à leur voix. En l’absence d’informations visuelles, nous serons probablement plus attentifs à l’intonation de la voix de notre interlocuteur. A défaut de visage, il est aussi possible de distinguer nos connaissances à l’aide de leurs habits, de leur coiffure ou de de leur démarche. En effet, nous savons aujourd’hui que l’être humain stocke en mémoire toutes sortes d’informations relatives à la voix, à la silhouette, ou à l’odeur qui vont aussi jouer leur rôle pour permettre la reconnaissance correcte d’un individu familier. 

Émotions

Mais qu’en est-il des émotions ? Comment décrypter les émotions sur les visages des autres avec le port du masque ? Joie, colère, tristesse, regret, dégoût, fierté, honte, peur, agression… Toute cette palette émotionnelle se traduit par des mimiques que notre cerveau déchiffre instantanément. Les enfants apprennent au fil des expériences et avec le soutien des adultes, à catégoriser, à reconnaitre, à ressentir, à identifier et à nommer leurs émotions et celles des autres. Mais qu’en est-il avec le port du masque ? Comment reconnaitre un sourire lorsque la bouche est masquée ? 

Une étude indique qu’il est loin d’être aussi difficile qu’on ne le pense de percevoir un sourire caché derrière un masque. La capacité à reconnaitre des expressions émotionnelles ne serait pas plus mauvaise quand la bouche et le nez sont couverts (à l’exception de certaines émotions). Un vrai sourire mobilise plusieurs muscles faciaux, comme le grand zygomatique, qui redresse les coins de la bouche, et l’orbiculaire, qui plisse les bords des yeux. Le sourire ne s’exprime donc pas juste avec les lèvres. L’observation de la zone autour des yeux suffirait généralement pour reconnaitre les sentiments de quelqu’un. Toutefois, la peur et la surprise peuvent susciter de la confusion. Pour ces deux émotions, nous écarquillons généralement les yeux mais nous comptons aussi beaucoup sur la bouche. En effet, nous ouvrons notre bouche lorsque nous sommes surpris et nous l’élargissons davantage pour exprimer la peur. Si la bouche et le nez sont couverts, ces mouvements sont invisibles. 

Les yeux qui parlent.

D’autres chercheurs soulignent encore que les yeux sont un puissant vecteur d’expression grâce auxquels nous pouvons reconnaitre des états mentaux subtils comme la réflexion. Le test « reading the mind in the eyes » développé par le psychologue S. Baron-Cohen est d’ailleurs utilisé dans le diagnostic des personnes porteuses de TSA qui présentent des difficultés à décoder les émotions. 

Par ailleurs, d’autres études rapportent que lorsque nous communiquons avec quelqu’un, nous ne comptons pas uniquement sur la vue de sa bouche pour reconnaître ses émotions. Nous échangeons avec le corps tout entier. Le fait que notre interlocuteur soit triste, en colère ou heureux, s’exprime non seulement par les expressions de son visage, mais aussi par la façon dont il parle et se déplace. Si quelqu’un sourit ou à l’air sérieux, cela s’entend car les changements dans la configuration de la bouche affectent la modulation de sa voix. 

Ajoutons à cela que la perception que nous aurons des personnes qui portent un masque et l’influence de nos opinions préexistantes sur le port du masque joueront un rôle non négligeable sur notre manière de décoder les émotions de nos interlocuteurs. 

Mais qu’en est-il pour les enfants et les adolescents ? Les enfants en âge d’aller à l’école primaire et les adolescents seraient à peine moins aptes que les adultes à reconnaître les émotions avec le port du masque. Toutefois, pour les bébés et les enfants d’âge préscolaire, c’est tout autre chose. La vue de visages qui semblent différents peuvent perturber leurs repères et être stressant. Si le nez, la bouche et le menton de la personne qu’ils regardent disparaissent soudainement, ils risquent d’être particulièrement troublés. 

Qui plus est, l’ensemble des études de ces dernières décennies sur le développement de l’enfant mettent l’accent sur l’importance d’une relation en synchronie avec ce que les tout-petits vivent au quotidien. L’accordage adulte-enfant se joue à la fois au niveau cognitif et affectif. Il s’agit pour l’adulte d’être en étroite connexion avec la situation dans laquelle l’enfant se trouve mais aussi d’être réceptif et ajusté aux affects et émotions que l’enfant a pu éprouver. Cet accordage de l’adulte et de l’enfant se fait de façon continue et par ajustement réciproque en intégrant leurs caractéristiques personnelles et celles de la réalité de leur environnement. Cette harmonisation et ce partage émotionnel fondent un lien qui apporte au jeune enfant la sécurité psychique et affective indispensable à son bien-être immédiat mais aussi à son développement psychoaffectif. Le tout petit n’est pas encore capable, à la manière d’un adulte, de reconnaitre la personne ou d’interpréter le sens de son expression. Il est important dès lors, de ne pas minimiser l’effet du port du masque qui transforme l’image du visage en le réduisant aux yeux. On sait d’ailleurs que le sourire de l’adulte est déterminant pour l’accrochage du regard par le tout petit. De plus, le masque a aussi pour effet de figer en bonne partie le visage, de réduire son caractère expressif. 

N’oublions pas également les enfants, mais aussi les parents, porteurs d’un handicap, d’une pathologie neurologique, d’un trouble du spectre de l’autisme, d’un retard du développement, d’un retard de langage ou autre. La situation actuelle est un véritable défi pour toutes ces personnes !  

Communication et sociabilité

Le masque doit rester une barrière aux microbes mais il ne doit pas devenir une barrière à la relation. D’après les chercheurs, plus de 80% du message que l’on cherche à envoyer à un interlocuteur passe par le langage corporel (body language) et les expressions faciales en font partie. Le masque vient ainsi troubler une part très importante des interactions humaines : la communication non-verbale. Il nous prive également du sourire, un outil dont nous usons fréquemment, dans de multiples situations. Ne pas voir le sourire de notre interlocuteur peut déstabiliser l’enfant et l’adolescent et augmenterait son niveau de vigilance et d’anxiété. Le confinement n’aurait ainsi plus lieu entre nos murs mais aussi entre une fine barrière de papier ou de tissus placée entre soi et l’autre lors des interactions. 

Le port du masque vient ainsi ébranler notre rapport à l’autre, l’intersubjectivité. Toutes les subtilités du langage associées à l’expression faciale sont dès lors, plus difficile à percevoir. Le port du masque nous invite ainsi à nommer davantage nos propres émotions (« je trouve ca drôle », « je ne suis pas d’accord », « je suis touchée », etc.) afin d’améliorer notre communication. Mais aussi, nous observons depuis plusieurs semaines, une augmentation de la gestualité lors de nos échanges avec les autres. 

Encore une fois, les conséquences risquent de toucher davantage les plus petits. Lorsqu’ils apprennent le langage, les enfants ont besoin d’associer le son entendu au mouvement de la bouche. Lorsque cette dernière n’est plus visible, ils perdent « ce double aspect ». Mais à condition que les petits-enfants passent également du temps en famille, auprès d’adultes référents non masqués, cela n’induira pas forcément de retard dans l’acquisition du langage.

Le port du masque nous pousse à parler plus fort, non pas à crier, mais de donner à entendre. Parler lentement demande également un effort et nous pousse à prendre conscience des articulations que nous sommes en train de développer avec autrui pour nous assurer que la communication acoustique a bien été audible. Pour que l’information acoustique traverse le masque, nous allons non seulement exagérer notre voix mais aussi augmenter notre gestuelle.

Enfin, d’autres spécialistes rapportent l’idée selon laquelle le masque pourrait devenir un véritable outil de communication. Le choix d’un masque personnalisé, révélateur de son individualité mais aussi de leur représentation sociale. Le simple fait de porter un masque constitue déjà un message. C’est le cas s’il est porté avec l’intention de rassurer l’autre. Alors, le masque, contre toute attente, se fait langage. 

Comment soutenir l’enfant et l’adolescent ?

Il est important d’expliquer aux enfants les raisons pour lesquelles les adultes portent un masque. L’enfant a besoin d’agir sur le monde en étant acteur pour pouvoir le comprendre et intégrer les changements. Vous pouvez favoriser le côté ludique du masque en ajoutant des petits bouts de tissus dans ses jeux habituels (masquer ses poupées, ses playmobils, etc.). Il est essentiel que les enfants puissent manipuler, jouer avec cette notion du port du masque. Il est également possible de réaliser des photos de visages masqués et de jouer à apparier chaque visage à une émotion, ou encore de jouer à cache-cache avec le masque. Quoi qu’il en soit, l’engagement de l’adulte dans sa relation à l’enfant devra se voir renforcée. Il est nécessaire de verbaliser d’avantage, d’articuler davantage, de parler clairement en ralentissant son débit de paroles et d’exagérer les mimiques du visage. Il est également important de renforcer l’accordage affectif évoqué plus haut, en renforçant le contact visuel avec l’enfant, en se mettant à sa hauteur, de le prénommer, et de donner une consigne à la fois pour soutenir le langage. 

Pour l’adolescent, le port du masque est synonyme de crise sanitaire et cela vient déséquilibrer le système familial, questionne les limites et les frontières de tous mais vient aussi limiter ou fortement modifier l’appel à l’extérieur. La crise du coronavirus est venue mettre à mal les liens sociaux extérieurs, pourtant si précieux. C’est pourquoi, bon nombre de jeunes adolescents ont peut être moins facilement intégrés les règles imposés, d’autant plus qu’ils sont dans un âge où le besoin d’autonomie et de différenciation s’exprime. L’adolescent vient plus souvent questionner, de manière directe et franche, ce qui nous traverse. Il parait alors porteur de sens de soutenir et de reconnaître ce qui nous habite également en tant qu’adulte ou parents et d’essayer de venir y mettre un sens pour aider l’adolescent à mieux se situer, d’autant plus que la période qu’il traverse met en exergue une perte de repères infantiles et une remise en cause de ce qui a été appris. Tout comme pour les enfants, les adolescents ayant acquis des facteurs de protection (bonne acquisition du langage, sentiment d’appartenance à un groupe de pairs, confiance en soi, sentiment de sécurité, etc.) avant le confinement, sont d’avantage compétents pour gérer le port du masque; à l’inverse, les adolescents présentant des facteurs de fragilités ou de vulnérabilité (mauvaise acquisition du langage, sentiment de solitude, mauvaise estime de soi, sentiment d’insécurité, etc.) seront peut-être d’avantage mis à mal, notamment en ce qui concerne le port du masque.

Zoé Campus
Zoé Campus

Psychologue clinicienne & Thérapeute du développement


Mélissa Lambion
Mélissa Lambion

Psychologue clinicienne & Psychothérapeute d’orientation systémique et familiale

Pourquoi un blog ?

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Le 213 a été pensé comme un lieu d’accueil offrant trois espaces thérapeutiques distincts, spécifiques, contenants et confidentiels pour accueillir l’enfant, l’adolescent et sa famille. Or, il n’est pas toujours évident de pousser la porte d’un centre thérapeutique pour un tas de raisons propres à chacun. Nous ne voulions pas que l’aspect confidentiel et intimiste du 213 entrave un accueil inconditionnel pour tous, et que par crainte ou fausses croyances, certains n’osent pas venir à notre rencontre.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’ouvrir un quatrième espace, virtuel cette fois-ci, touchant toutes personnes souhaitant nous connaitre et découvrir notre philosophie intégrative autour de l’enfant, de l’adolescent et de sa famille. C’est comme cela, que nous avons ouvert une page Facebook et Instagram en avril 2019.

C’est avec l’idée de démystifier les prises en charge de l’enfant et de l’adolescent en proposant de brefs écrits sur des thématiques diverses de l’Enfance que nous avons, durant un an, tenu notre page Facebook et notre compte Instagram.

Aujourd’hui, nous souhaitons offrir un regard plus complet et pluridisciplinaire sur les thématiques abordées. L’interface proposé par Facebook et Instagram ne nous permettent pas de rédiger des articles plus longs reflétant la pluridisciplinarité que nous offrons au sein du 213 Centre thérapeutique. Par ailleurs, nous souhaitions, à tout prix, éviter de tomber dans une vulgarisation des connaissances médicales, psychologiques et paramédicales et pour cela, nous avions besoin d’un nouveau support. L’idée du blog a alors émergé au sein de l’équipe nous permettant ainsi d’adapter l’espace virtuel destiné à tous.

Le 213 Centre thérapeutique
Le 213 Centre thérapeutique

Enfant, adolescent, famille.