Être frère ou sœur d’une personne en situation de handicap peut entrainer des questions ou des remaniements au niveau émotionnel individuel voire familial. Il nous arrive, comme thérapeutes au 213 d’entamer des suivis individuels pour l’enfant en situation de handicap mais également pour l’un des membres de la fratrie.
Ayant à cœur de pouvoir soutenir leur enfant à besoins spécifiques, les parents mettent souvent toute leur énergie à entamer des suivis divers et variés pour leur enfant porteur d’un handicap. Face à cette situation, pour certains membres de la fratrie, il n’est pas toujours facile de prendre sa place, d’exister pour soi/par soi et de pouvoir partager avec aisance toutes les émotions plus au moins conscientes qui en découlent. Il est alors important pour nous de pouvoir donner une place spécifique à ces membres de la fratrie parfois mis à distance de toute proposition d’aide.
L’annonce du diagnostic

La majorité des familles s’accorde pour évoquer qu’il y a un remaniement du fonctionnement familial après l’annonce d’un diagnostic de handicap d’un enfant. Cette annonce peut entrainer des questions diverses pour chacun des membres de la famille. Elle peut aussi entrainer des messages chargés émotionnellement, liés au processus d’acceptation et de digestion de ce diagnostic.
Parfois, les mots utilisés lors de l’annonce peuvent être clairement compris du frère ou de la sœur qui, par leur maturité intellectuelle et émotionnelle sont en mesure de pouvoir comprendre la réalité qui leur est expliquée. Parfois, les mots utilisés peuvent être accompagnés d’une certaine charge émotionnelle de celui qui l’explique – d’un manque de clarté et d’accordage dans les mots utilisés – ne tenant pas compte du stade de développement du frère ou de la sœur. Cela peut alors créer des préoccupations, les informations n’étant pas suffisamment claires.
Parfois encore, il n’y a pas de mots mis sur l’annonce. Un silence pour protéger la fratrie, un silence pour protéger la famille. Un silence qui s’installe insidieusement, inconsciemment, par envie de bien faire, par manque d’outils ou encore parce que ce n’est pas le bon moment. Ces silences, à l’origine multiple et variée, peuvent protéger dans un premier temps et devenir source d’incompréhension, de souffrance face à un sujet compris par la fratrie comme étant trop complexe et devenu alors tabou. Le frère ou la soeur, peut alors, faute de réponse sécurisante satisfaisante, être traversé(e) d’émotions spécifiques et se poser des questions dont les parents n’ont bien souvent pas conscience. Ils sont alors pris par des questions parfois difficilement nommables sur : leur impression de responsabilité, les croyances et espérances de guérison, la culpabilité face au sentiment d’impuissance, les inquiétudes quant à la place dans la famille ou encore quant à la disponibilité restante des parents.
Le chamboulement émotionnel

Comme évoqué précédemment, l’annonce du diagnostic entraine un chamboulement important. Bien souvent, c’est la réaction émotionnelle des parents, plus que le diagnostic en lui-même ou la découverte du handicap, qui touche la fratrie. Incompréhension, tristesse, colère, mise à distance, grande sensibilité, optimisme, minimisation, anxiété, honte… sont autant de sentiments qui peuvent traverser l’enfant qui a le sentiment d’avoir «lui, échapper au handicap ».
Bien souvent, sentant le changement dans la famille et s’identifiant à son frère ou sa sœur en situation de handicap, l’enfant de la fratrie peut contenir ses émotions (pour ne pas surajouter à la gestion familiale) ou, à l’inverse, sortir le trop plein par des crises difficilement contrôlables, comme un indicateur du besoin d’être rassuré sur la légitimité de sa place, lui qui est en bonne santé.
En parler en famille peut s’avérer une tâche ardue où chacun, centrant son énergie à (re)trouver l’équilibre / son équilibre, n’est plus en lien de façon optimal. La complexité de toute la situation dans son ensemble, au-delà du handicap, peut rendre le dialogue difficile. Alors, certains se taisent, d’autres provoquent le dialogue par la force de leur émotion et d’autres encore arrivent à cheminer en posant quelques questions de temps à autre et parcimonieusement.
Le chamboulement des liens de famille

Quelles que soient les familles ou la position qu’on occupe dans sa fratrie, il est parfois difficile de trouver sa place. Cette question qui traverse tous les enfants peut s’avérer parfois plus délicate encore lorsqu’un frère ou une sœur est en situation de handicap.
Toutes les fratries se construisent dans la construction et la rencontre de l’altérité. Les relations fraternelles où le handicap s’invite peuvent présenter des particularités spécifiques, rendant la relation encore plus unique mais parfois également plus complexe. Nous pensons par exemple aux situations relatées par des enfants : « il/elle est dans sa bulle », « il/elle ne m’écoute pas quand je lui parle, il/elle ne sait pas se mettre à ma place », « avec lui/elle je ne sais pas jouer comme avec les copains de classes» … toutes ces phrases montrent la complexité du lien et parfois une sensation de colère/tristesse ou de manque associée. Toutes ces phrases montrent également, que très jeunes, les fratries d’enfants présentant un handicap, sont amenées à côtoyer la différence/la spécificité. Il va de soi que bien accompagné, cette découverte peut s’avérer être une richesse.
Néanmoins, il se peut aussi que l’enfant de la fratrie ait l’impression, parfois honteuse et teinté de rivalité/culpabilité, d’avoir moins d’intérêt aux yeux des parents. Il peut alors développer de façon inconsciente une rivalité non exprimée pour celui ou celle qui présente un handicap. Celui ou celle qui, par ses besoins d’attention ou de temps important, lui dérobe l’amour parental. Cela peut créer un sentiment d’injustice et de déséquilibre dans la relation familiale et parentale. L’enfant peut alors développer cette impression d’être moins aimé, mis à l’écart ou délaissé au profit de son frère ou sa sœur qui lui semble plus fragile. A l’inverse, l’enfant non porteur du handicap peut également se placer comme une aide précieuse, une ressource, presque un soignant, tant dans la fratrie que dans la famille. S’étant auto-responsabilisé ou ayant été trop rapidement responsabilisé dans le soin à l’autre, il ne peut alors expérimenter tout ressentiment parfois plus négatif, pourtant sain au bon développement de son identité différenciée. L’équilibre peut alors s’avérer précaire.

Au-delà de ces aspects spécifiques à la fratrie, il va de soi que le rythme de la famille peut être teinté par le handicap et peut laisser aux frères et sœurs une impression d’être différent dans son système familial ou encore face aux autres familles. Enfin et plus globalement, les familles, confrontées au dictat de la normalisation de notre société, se retrouvent face au regard des autres. Sentiment de différence, impression d’être jugées parfois rejetées. Sentiment qu’on réduit leur enfant au handicap, sans voir qui il est dans son entierté / son unité/ avec ses faiblesses mais aussi et surtout ses forces. Sentiment de devoir se justifier, se protéger. Autant d’éléments pouvant entrainer une cristallisation du système familial qui peut, petit à petit, se renfermer sur lui-même, n’ayant pas l’impression d’avoir une place, leur juste place.
Le travail d’établissement voire de rétablissement d’un dialogue
Les liens familiaux ne permettent pas toujours d’avoir accès au dialogue ou d’entrer dans une réflexion sur les besoins individuels de chacun. Comme expliqué précédemment, le peu de dialogue peut parfois faire émerger des souffrances. Il est alors important de penser à consulter. Les crises ou les moments de bonheurs peuvent également être des portes d’entrées pour l’instauration d’un dialogue.

Le travail auprès d’un thérapeute, permet de se déposer autour de ce qui préoccupe l’enfant de la fratrie ou la famille. Il peut être un lieu d’écoute des émotions, un lieu neutre et bienveillant d’accueil de tout ce qui se dit mais également de tout ce qu’on n’ose dire. Il peut se faire auprès d’un psychologue individuel, pour un des membres de la famille voire d’un psychologue systémicien, pour un accueil de tout le système familial.
Au même titre que d’autres difficultés déjà explorées dans ce blog, le handicap au sein d’une famille peut s’avérer être une source de changements et de remaniements de ses conceptions intimes/ famililales / relationnelles. Vivre dans une fratrie où le handicap est présent n’est pas toujours synonyme de souffrance. Au contraire, il peut aussi s’avérer être une source de richesse, de développement de son empathie, de son ouverture au monde, de ses capacités de résiliences. Néanmoins il est possible aussi que de façon plus ou moins transitoire, des difficultés apparaissent sur le plan individuel (« comment avoir ma juste place ») qu’il est important de légitimer. Enfin, légitimer chaque individu dans son système d’appartenance est un premier pas vers une société plus inclusive, chère à nos valeurs au sein du 213.